Rythmes scolaires
Claire Leconte,
chercheuse en chronobiologie, plaide pour une semaine de six jours
d'école
Publié le 24/06/2017 à 16h50
Conférence-débat avec Claire LECONTE,
photo: frédéric rimbert © frédéric rimbert
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Claire Leconte est professeur émérite de psychologie de
l’éducation et chercheur en chronobiologie. Elle est l'auteur de l'ouvrage «
Des rythmes de vie aux rythmes scolaires : une histoire sans fin ». Elle
répond aux questions de « La Montagne » sur la possibilité pour les communes de
repasser, dès septembre, à la semaine de 4 jours d'école contre 4 jours et demi
actuellement.
Quel regard portez-vous sur le projet de décret du ministre de
l’Éducation Jean-Michel Blanquer qui propose de revenir à la semaine de 4 jours
pour les communes qui le souhaitent?
"Je travaille depuis 1981 sur l’aménagement des temps de
l’enfant ! Et ça me désole de voir qu’on ne s’inspire jamais
d’expériences qui existent et qui ont fait leurs preuves ! Chacun y va de ses
croyances, de ses intuitions !
Les communes qui le souhaitent vont pouvoir revenir à la semaine
de 4 jours malgré l’avis négatif du Conseil supérieur de l’éducation. Or, cette
semaine des 4 jours ne respecte pas les rythmes biologiques des enfants et ne
répond pas à leur besoin de régularité. Je n’y suis donc pas favorable. Et
j’observe que pour l’instant les communes que j’ai accompagnées dans la
construction de leur projet éducatif de territoire n’envisagent pas d’y
revenir."
Vous même n’employez pas les termes de "rythmes
scolaires" mais ceux "d’aménagement des temps de l’enfant".
Pourquoi ?
"Les rythmes scolaires ne sont pas une science, alors que
la chronobiologie si. Un enfant passe 10% de son temps de vie à l’école (864
heures) et l’on fait comme si les 90% du temps restant n’avaient pas d’effet
sur son bien-être. C’est une erreur fondamentale. Ceux qui s’occupent des
enfants devraient connaître les rythmes biologiques des enfants et ce n’est pas
le cas. Une bonne réforme devrait commencer par un temps d’information et de
formation (sur ces rythmes biologiques) de tous les adultes (parents,
enseignants, ATSEM, animateurs) qui participent à la chaîne éducative."
Que nous apprend la chronobiologie?
"Que la première et la plus importante règle à respecter
pour les enfants, c’est la régularité, à commencer par celle du rythme
veille-sommeil. Dès l'âge de 3 ans, cette régularité se reflète dans la qualité
des apprentissages et le comportement des enfants. Un enfant devrait toujours
se coucher à la même heure, du lundi au dimanche ( or c'est rarement le
cas quand il n'y a pas école le lendemain) , y compris pendant les petites
vacances."
Pour réussir à l'école et ne pas s'écrouler de fatigue, la première des choses est de bien dormir. Les parents doivent veiller à la régularité de l'heure du coucher du lundi au dimanche y compris pendant les vacances. Photo R Brunel.
Par ailleurs dès l’âge d’un an, on sait si un enfant est un
petit, moyen ou gros dormeur. Ces rythmes propres à chacun sont génétiquement
programmés. Les petits dormeurs vont rapidement se passer de sieste. Imposer à
un petit dormeur de petite section de maternelle une sieste et l’interdire à un
gros dormeur de grande section est une aberration et c’est
contre-productif.
Veillez aux signes de
l'endormissement. En fin de journée, la température du corps s'abaisse
naturellement et c'est le signe annonciateur du sommeil. Si votre enfant
vous dit qu'il a froid, plutôt que de lui remettre un pull préparez-le à aller
se coucher. De même, à l'école, lors de la fameuse pause méridienne, il n'est
pas rare de voir les plus petits courir dans tous les sens en attendant l'heure
de la sieste. Ce n'est pas le signe d'un besoin de se défouler mais le moyen
pour ces bout de choux de rester éveillés. Claire Leconte préconise de coucher
les enfants, qui ont besoin d'une sieste, immédiatement après le repas de midi.
Avec 24 heures de cours par semaine et six heures par jour
maximum, quelle serait, selon vous, la bonne organisation sur une
semaine?
"Dans l’idéal, il faudrait 6 matinées d’école du lundi au
samedi car seule la régularité favorise les apprentissages. Lille avait
expérimenté ce système avec succès avant que le ministre Xavier Darcos ne
supprime l'école le samedi matin ce que j'ai toujours déploré car c'était
un jour particulier, plus détendu et propice aux échanges aussi bien
pour les enfants, les enseignants que les parents, même les divorcés !
Mais même, avec une semaine de 4 ou de
4,5 jours, on peut faire mieux en faisant autrement.
D'abord, il ne faut pas retarder l’heure de démarrage de
la classe au delà de 8 h 30. La plupart des enfants sont naturellement
lève- tôt lorsqu’on respecte la régularité de leur rythme veille-sommeil en les
couchant à heure régulière.
Ensuite, il faut organiser les journées différemment. En finir
avec le deux fois trois heures et faire des matinées plus longues (3 h 30
à 4 heures dans l’idéal) que les après-midi ( deux heures) et
ce "afin de faire bénéficier les enfants de la clarté de leur
esprit" comme le disait dès 1906, le psychologue Alfred Binet ."
A l'école, il faut jouer la carte
des alternances pédagogiques et faire des arts plastiques, de la musique ou du
sport, aussi le matin, entre les maths et le français.
Faut-il réserver le matin aux maths et au français ?
"Non, il faut jouer la carte des alternances
pédagogiques. Entre les maths et le français qui demandent beaucoup de
concentration, il faut aussi faire des arts plastiques, de la musique ou du
sport le matin, car ce sont des temps de respiration qui mobilisent
d’autres processus cognitifs, comme la créativité, la motricité. C'est
ainsi qu'on développe les transferts d’apprentissage, c’est-à-dire
qu'on montre aux élèves que ce qu’ils apprennent dans une matière est utile
dans une autre. Vous pouvez faire des longueurs en piscine puis calculer
combien de décamètres ou de km ont été parcourus, etc. Ainsi les enfants se
sentent acteurs de leurs apprentissages. En procédant ainsi, on limiterait
aussi les échecs au collège."
Que pensez-vous des TAP?
"Je n’aime cet acronyme, et puis donner des
"tapes" aux enfants, ce n’est pas sympa. Plus sérieusement, j’ai
toujours été opposée à l’éparpillement des heures d’activités. Cela rend
les enfants zappeurs et ils n’en tirent aucun bénéfice. Dans les communes que
j’ai accompagnées dans la construction de leur projet éducatif de
territoire, un après-midi par semaine est consacré à un parcours de découverte
sur un thème donné. C’est un vrai temps éducatif qui ne dure pas plus de
deux heures. Un parcours construit et pas occupationnel, en partenariat
entre les animateurs et les enseignants, pour mobiliser autrement les acquis
faits en classe.
Quand ces projets sont bien construits, qu’il y a un objectif à
atteindre, cela intéresse les enfants, valorise et fidélise les animateurs et,
au final, ça se révèle aussi moins coûteux pour les communes car il
n'est pas nécessaire d'avoir de l’argent pour faire un parcours de découverte,
il suffit d'être innovant en mobilisant les ressources locales ( les
associations, les médiathèques, les papys ….)."
On parle beaucoup des rythmes de la semaine mais ne faudrait-il
pas revoir les rythmes sur l’année ?
"Absolument ! La règle des sept semaines
d’école suivies de deux semaines de vacances est absurde. Elle a été pensé
dans les années 80, pour les marins au long cours et les ouvriers des
plates-formes pétrolières, pas du tout pour les enfants ! Nous sommes
d’ailleurs le seul pays au monde à le pratiquer. On voit bien là, la prégnance
en France du lobby touristique qu’on n'observe pas dans d’autres pays."
Que préconisez-vous ?
"D'abord, les vacances de Toussaint n'ont pas besoin de
durer deux semaines car elles viennent trop tôt après la rentrée de septembre.
On pourrait supprimer celles de printemps pour replacer les jours entre
les ponts et ainsi avoir un vrai troisième trimestre, ce qui n'est pas le cas
aujourd'hui.
Il serait aussi plus cohérent de faire démarrer les vacances de
Noël le 22 décembre et de reprendre les cours autour du 8 janvier et non pas le
3, comme cela se fait dans de nombreux pays. A cette époque de
l’année, les organismes sont fatigués et les jours sont courts. On peut
maintenir les deux semaines de vacances d’hiver (en février-mars) pour les
mêmes raisons. On pourrait enfin resserrer les vacances d’été en reprenant
les cours la dernière semaine d’août et en faisant de la première semaine de
juillet un vrai temps éducatif."
On montre souvent la Finlande en exemple. Que fait-elle mieux
que nous ?
"En Finlande, l’école est considérée comme un lieu de vie
où « chaque enfant peut réussir ». On estime que tous les enfants ont des
potentialités que les éducateurs vont s’employer à faire émerger.
En France, on dit « tous les enfants doivent réussir » sans
vraiment s'intéresser à eux et à ce qu’ils sont."
Finalement, par delà les rythmes scolaires, on devrait
aussi revoir la manière d'enseigner et de considérer l'enfant comme l'a
montré Céline Alvarez dans son best-seller "les lois naturelles de
l'enfant" ?
"Certainement et j'évoquerais aussi tous ces
enseignants qui au quotidien s'inspirent de Freinet. Ils ne parlent pas de
l'élève mais bien de l'enfant !"
Propos
recueillis par Géraldine Messina
Pour aller plus loin: Des
rythmes de vie aux rythmes scolaires : une histoire sans fin, de
Claire Leconte, paru en 2014, aux presses universitaires de Septentrion. Et
retrouvez le travail et les proposition de Claire Leconte sur le site Internet L'école
et les temps de l'enfant, éduquer pour instruire
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